28e Journées Nationales des Secteurs de Psychiatrie en Milieu Pénitentiaire 2024
28e Journées Nationales des Secteurs de Psychiatrie en Milieu Pénitentiaire 2024, Hopital de la Timone
Les 28e Journées Nationales des Secteurs de Psychiatrie en Milieu Pénitentiaire, qui se sont tenues les 3 et 4 octobre 2024 à Marseille, ont été l'occasion d'approfondir les réflexions sur la place de la psychiatrie et l’exercice du soin psychique en milieu pénitentiaire et les difficultés du partenariat santé justice qui en découlent entre soin, justice et ainsi que les attentes sociétales. Au cœur des discussions des séances, plusieurs interventions marquantes ont souligné les enjeux contemporains d'une psychiatrie constamment sollicitée pour répondre à des exigences sécuritaires, tout en préservant sa vocation thérapeutique.
Jean-Jacques Laboutière, psychiatre et ancien président de la Fédération Française de Psychiatrie, a rappelé que la psychiatrie, bien que souvent considérée comme une discipline à part, subit depuis longtemps une instrumentalisation au nom de l'ordre et de la sécurité publique. Il a mis en lumière l'historique conflit entre justice et psychiatrie autour de la figure du criminel-fou, toujours perçue sous l'angle de l'exclusion, que ce soit par la prison ou l'hôpital psychiatrique. Le docteur Laboutière a intégré la capacité actuelle de la psychiatrie à résister aux pressions sociales qui tendent à la normaliser en tant que simple spécialité médicale. Il a également exploré ce que signifierait une psychiatrie strictement médicale, notamment en termes de prise en charge des patients nécessitant des soins au long cours.
Jérôme Englebert, psychologue clinicien et professeur de psychopathologie à l'Université Libre de Bruxelles, a mené cette réflexion en s'intéressant à la question de la folie comme « pathologie de la liberté ». Il a examiné l'idée que les troubles psychotiques, souvent associés à une errance intérieure, ne peuvent pas être strictement encadrés par des normes sociales. Jérôme Englebert a ainsi proposé une approche thérapeutique où il s'agit non pas d'imposer un cadre à ces patients, mais de les accompagner dans leur mouvement, en réfléchissant à une clinique capable de « marcher ou courir » déambuler à leurs côtés.
L'intervention d'Isabelle Huré, enseignante-chercheuse en sciences de l'information et de la communication, a traité un autre aspect en analysant la manière dont les médias français abordent la question des soins psychiatriques en prison. À partir d'une étude couvrant les années 2010 à 2023, elle a montré que le cadrage médiatique tend à privilégier une lecture sécuritaire de la folie en milieu carcéral, influençant ainsi non seulement l'opinion publique, mais aussi les politiques de santé mentale. Cette représentation, dominée par la peur et l'urgence sécuritaire, contribue à maintenir une image de la psychiatrie en milieu pénitentiaire déconnectée de sa mission de soin.
Magali Ravit, professeure en psychopathologie à l'Université Lumière Lyon 2, a pour sa part abordé la fascination et la sidération que la folie criminelle peut susciter chez les professionnels de santé. Elle a souligné que ces réactions, bien loin de constituer des biais dans la relation de soin, doivent être comprises comme des échos des souffrances psychiques profondes des patients. Ces vécus vertigineux et souvent dérangeants témoignent des expériences de souffrance interne des patients, qui se répètent dans leurs actes violents. L'approche clinique doit ainsi s'efforcer de saisir ces moments pour comprendre la complexité de la psyché des patients et construire des dispositifs de prise en charge adaptés.
Enfin, Emmanuel Venet, psychiatre et écrivain, a porté un regard critique sur la situation actuelle de la psychiatrie en France, particulièrement celle de secteur. Il a énoncé une répartition inégale des soins entre, d'une part, des pratiques sécuritaires dévolues à la psychiatrie publique, et de l'autre, des soins moins contraignants devolus au secteur privé et libéral. Il s'est concentré sur l'avenir de la psychiatrie de secteur, questionnant si elle est en régression ou en transition vers une neuropsychiatrie qui, en se concentrant sur la gestion technologique des symptômes, risquerait de perdre de vue la dimension humaine et relationnelle du soin.
Ces interventions ont dressé un tableau saisissant des enjeux actuels de la psychiatrie en milieu pénitentiaire. Elles ont montré que, malgré les pressions sécuritaires et les contraintes budgétaires, il demeure essentiel de préserver une réflexion sur la nature du soin psychiatrique, en indispensable qu'il ne se réduise à une simple réponse aux exigences de contrôle social. L’exercice de la psychiatrie, en prison comme en milieu ordinaire, doit continuer à affirmer sa spécificité, celle d'un espace où la souffrance psychique est reconnue et prise en charge de manière humaine et adaptée.