Journée mondiale de la thalassémie - 03 et 04 mai 2019 Marseille
Les 3 et 4 mai 2019 s’est tenue la première conférence sur la Thalassémie, organisée en France à l’occasion de la Journée Mondiale de la Thalassémie (8 mai). A l’initiative des associations de patients et des spécialistes de la maladie, ces journées avaient pour objectif de rassembler un public de différents horizons (patients et leurs familles, représentants associatifs, médecins, chercheurs, professionnels de santé, partenaires privés). Ces deux journées inédites ont permis de faire le point sur la Bêta-thalassémie, sa prise en charge actuelle, le vécu et les attentes des patients mais également les espoirs apportés par les avancées de la recherche.
Ainsi, nous souhaitons partager avec vous le résumé des présentations réalisées les 3 et 4 mai 2019, afin d’archiver précieusement et de disséminer au plus grand nombre et surtout à l’ensemble des acteurs impliqués dans la prise en charge de la bête thalassémie la richesse du savoir collecté lors de ces deux journées.
ÉPIDÉMIOLOGIE DE LA BÊTA – THALASSÉMIE ET RÉSULTATS DU REGISTRE NATIONAL
Épidémiologie de la Bêta-thalassémie, Professeur Catherine Badens
Catherine Badens dirige le laboratoire de Biochimie de l’hôpital de la Conception et enseigne à la faculté de Pharmacie de Marseille, Aix Marseille Université. Elle est responsable du registre national des Thalassémies depuis sa création en 2005.
Le registre national des patients atteints de Bêta-thalassémie a été créé en 2005. Il est coordonné par le Centre de référence de Marseille. Ce registre recense les patients vivants en France avec un diagnostic de Bêta-thalassémie c’est-à-dire les patients Bêta-thalassémiques majeurs, les patients Bêta-thalassémiques intermédiaires mais également les patients thalassémiques ayant reçu une greffe de cellules souches.
Ce registre a pour objectif de collecter des données chiffrées pour permettre de comprendre l’impact de la Bêta Thalassémie en France (épidémiologie), de connaître les modalités de prise en charge médicale des patients et de fournir un outil utile à la recherche. Le registre est constitué de données cliniques, biologiques, d’imagerie, mais également de données sur les traitements et d’ordre social. 92 centres, répartis dans 63 villes contribuent au registre national des patients atteints de Bêta-Thalassémie.
Données socio-démographiques
Depuis sa création, le registre national des patients atteints de Bêta-thalassémie a inclus 702 patients. Le registre recense 365 patients atteints de Bêta-thalassémie majeure ou intermédiaire, transfusion- dépendants.
En 2019, 31% des patients atteints de Bêta thalassémie et de plus de 18 ans ont au moins un enfant.
Mortalité
De 2005 à 2017, le registre a recensé 34 décès de patients atteints de Bêta-thalassémie, soit 8 décès pour 1000 personnes/année. La principale cause de mortalité est la défaillance cardiaque, suivie des complications infectieuses, des complications liées à la transplantation et enfin des complications liées à la défaillance hépatique.
Transfusion et Chélation
Entre 2009 et 2017, le registre national des patients atteints de Bêta-thalassémie a identifié 272 patients dépendants des transfusions âgés de 1 à 55 ans (âge médian 21 ans).
La majorité de ces patients présentent le génotype Beta°/beta°(62,4%)
58% des patients dépendants des transfusions sont splénectomisés.
95% des patients TD suivent un traitement chélateur
La réalisation d’IRM hépatique et cardiaque pour évaluer la surcharge en fer, est pratiquée chez 79% et 61% des patients respectivement.
Le chélateur le plus utilisé en monothérapie est le deferasirox suivi de la deferriprone.
Le suivi de la surcharge en fer évaluée par le taux de ferritine sérique, l’IRM hépatique et l’IRM cardiaque montre une augmentation de la proportion de patients dans le groupe de bas risque au cours de la période observée.
Comorbidités
Les premières complications apparaissent après 12 ans et sont peu fréquentes avant 18 ans. Après 18 ans on peut observer, par ordre de fréquence, les troubles du rythme cardiaque, l’insuffisance cardiaque, le diabète de type I et le diabète de type II.
Conclusion
Le registre national des thalassémies est un outil intéressant permettant la description de la population de patients thalassémiques en France et de leur prise en charge.
ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE DU PATIENT THALASSÉMIQUE (ETP), ÉLARGIE AUX PATHOLOGIES CONSTITUTIONNELLES DU GLOBULE ROUGE
Marie-Christine Medard, Coordinatrice du programme d’éducation thérapeutique du patient, puericultrice coordinatrice du centre de référence maladies rares constitutionnelles du globule rouge et de l’érythropoïèse, Marseille, CHU Timone.
La Thalassémie Majeure est une anémie constitutionnelle sévère et chronique qui survient dès la petite enfance. La Thalassémie majeure est très rare en France (cf présentation du registre national du Pr. C. Badens). Elle nécessite une prise en charge thérapeutique précoce associant un régime transfusionnel régulier et un traitement chélateur du fer au long cours. Au cours des 40 dernières années, il y a eu une nette amélioration de l'espérance de vie des patients : de 15 ans à plus de 50-60 ans grâce aux traitements (Exjade per os) et à la surveillance (IRM hépatique et cardiaque). Pourtant l’enjeu principal de la prise en charge des patients thalassémiques demeure l’observance du traitement chélateur et le suivi de la surcharge en fer. Ainsi, l’ETP présente-t-elle un intérêt majeur pour le patient.
L’Éducation Thérapeutique du Patient est une méthode d’apprentissage visant à aider les patients à acquérir ou maintenir des compétences afin de gérer au mieux leur vie avec une maladie chronique (OMS). Elle fait partie intégrante de la prise en charge du patient.
Objectifs principaux de l’ETP
Rendre le patient plus autonome par l’appropriation des savoirs et des compétences ; il devient l’acteur du changement de son comportement vis à vis de sa pathologie, améliorer la qualité de vie du patient et de son entourage. Les attentes des soignants s’avèrent différentes de celles des patients ; avec la démarche ETP les soignants doivent s’adapter aux patients.
Objectifs particuliers des ateliers
Aider à mieux comprendre la maladie, les traitements, le suivi, les examens de surveillance, les complications possibles, la génétique, les avancées thérapeutiques. Les ateliers permettent aussi de renforcer l’estime de soi, d’améliorer l’adhérence aux traitements, de faire les démarches administratives de conseiller les patients dans le choix de l’orientation professionnelle, d’impliquer les proches pour un meilleur accompagnement, de rompre l’isolement et la solitude, de préparer la transition enfants/adultes
Description du 1er programme d’ETP thalassémie (de janvier 2012 à décembre 2015)
Ce programme concernait des patients âgés de plus de 15 ans et s’est focalisé sur l’accompagnement d’une transition service Enfant/Adulte très tardive. Cette population était prioritaire car les traitements et la surveillance se complexifient avec l’âge.
Déroulé de la séance transition du programme d’ETP thalassémie
À l’initiation du programme, nous avons identifié les craintes et attentes des patients au travers d’un questionnement :
« Que représente pour vous le fait d’être suivi dans un service d’adultes ? » « Que serait pour vous le passage idéal ? » « Quelles sont vos craintes et attentes ? »
Cette séance s’est appuyée sur une équipe pluridisciplinaire : binômes de soignants enfant/adulte. Elle a permis aux patients la rencontre avec l’ensemble de l’équipe du service adulte en incluant la visite de l’Hôpital de Jour du secteur adulte et la rencontre avec des adultes qui ont déjà vécu la transition.
Les craintes principales exprimées par les patients étaient « la peur de l’inconnu », « la perte des repères » et « le sentiment d’abandon » par une équipe qui les a pris en charge très tôt dans l’enfance. Les patients ont également exprimé leurs attentes : devenir d’avantage acteur de sa santé, développer un processus de changement et d’adaptation au quotidien, parler plus facilement de sexualité, de contraception, d’insertion professionnelle.
De janvier 2012 à décembre 2015, 20 patients âgés de 20 à 55 ans ont été pris en charge dans le service de médecine interne adulte.
Rôle de l’ETP dans cette transition plus ou moins imposée
Ressenti des patients (évaluation de juillet 2015, 20 patients)
81% des patients disent être satisfaits de la transition vers le service adulte. 85% des patients ayant participé au programme d’ETP ont acquis une meilleure connaissance de la maladie. 60% affirment mieux comprendre leurs résultats d’analyse et d’examen, 55% d’entre eux indiquent avoir une meilleure adhérence aux médicaments. 35% d’entre eux indiquent avoir une meilleure adhérence au suivi, un meilleur vécu social. 45% indiquent qu’il n’y a pas eu de détérioration dans les relations avec le changement d’équipe soignante.
Évaluation de Décembre 2015
Sur les 26 patients ayant bénéficié d’un diagnostic initial et d’au moins 2 séances, 25 ont achevé leur programme avec une évaluation finale. 13 suivis psychologiques et /ou sociaux ont été initiés. Aucun patient n’est sorti du programme, 17 patients ont demandé un programme de suivi/renforcement ETP, 11 patients thalassémiques adultes ont poursuivis le programme d’ETP de 2015 à 2018
Le deuxième programme d’ETP a débuté en janvier 2016 et se poursuit. Ce programme a été élargi aux enfants à partir de 6 ans, à la fratrie, aux parents, aux autres maladies hématologiques rares, transfusées suivies en pédiatrie (déficit en PK, drépanocytose). Les ressources humaines autour de ce 2ème programme se sont étoffées et ont impliqué une coordinatrice Puéricultrice Diplômée d’État (PDE), quatre médecins, une ingénieure en recherche clinique, trois infirmières diplômées d’état (IDE)/PDE, deux psychologues, une auxiliaire équipe douleur, une assistante sociale, une pharmacienne, une diététicienne, une kinésithérapeute, une éducatrice de jeunes enfants, une association de patients Hema 13 (1 patient expert).
23 séances ont été construites et réalisées pour les adultes, les enfants de 6 à 12 ans, les adolescents de 13 à 16 ans, les parents et la fratrie. Ce format a été choisi afin de répondre à de nouvelles demandes et le mixage des pathologies a été rendu possible compte tenu des points communs entre les pathologies : chronicité, complexité du suivi, vie familiale perturbée, isolement psycho- social, peur d’en parler, crainte pour l’avenir. Les séances ont été élargies au cercle familial afin d’augmenter le nombre de participants.
Exemples de séances collectives proposées :
Les voyages et la préparation au retour : 11 enfants et 7 parents ont bénéficié de cette séance lors de laquelle sont intervenues 2 puéricultrices et un pédiatre.
Encore des examens médicaux à passer ! À quoi ça sert ? Pourquoi aussi souvent ? Comment s’en souvenir ? 6 enfants et 5 parents ont bénéficié de cette séance avec l’implication de 2 puéricultrices et d’une éducatrice de jeune enfant
Les difficultés : organisation, travail de secrétariat, trouver des salles d’accueil, respecter le programme proposé, nombre de participants toujours imprévisible !
Résultats ETP 2018
68 patients inclus : 22 patients thalassémiques : dont 10 adultes, 19 enfants drépanocytaires, 20 parents de patients, 7 frères et sœurs
15 séances collectives : 2 pour les adultes en décembre 2018, 13 pour enfants /parents/fratrie, 38 séances individuelles.
Toutes les données sont enregistrées dans la base de données BEDUTHEP développée à l’APHM pour l’ensemble des programmes d’ETP
Conclusion
L’éducation thérapeutique du patient est une activité très chronophage pour laquelle la coordination est indispensable. Mais c’est aussi très enrichissant ! Elle permet une nouvelle approche des patients. C’est un véritable travail d’équipe pluridisciplinaire, ouvert sur l’extérieur ; L’ETP bouleverse la relation « soignant/patient » en modifiant le regard de chacun sur la maladie chronique. C’est reconsidérer le patient dans sa dimension humaine
C’est un partage patient/intervenant, chacun apprend de l’autre. L’ETP est devenue incontournable, il est donc primordial d’échanger et de rencontrer d’autres équipes, de trouver de nouvelles méthodes
Perspectives du programme
Élaborer un programme pour les nouveaux patients dépistés à la naissance abordant l’annonce du diagnostic, la transmission et la prise en charge familiale.
LES NOUVEAUX TRAITEMENTS DE LA THALASSÉMIE
Dr I Thuret, Médecin pédiatre, référente et coordinatrice du Centre de Référence des Maladies Rares Constitutionnelles du Globule Rouge et de l’Erythropoïèse, à Marseille CHU Timone.
L’hémoglobine (Hb) est constituée de quatre chaînes protéiques, 2 chaines alpha et 2 chaines bêta-globine. Les bêta-thalassémies résultent d’un défaut de production des chaines bêta-globine.
Les formes majeures de la maladie également appelées formes dépendantes des transfusions entraînent une anémie sévère et précoce. Elles nécessitent des transfusions régulières et un traitement chélateur du fer. En règle une mutation thalassémique est présente sur chacun des 2 gènes bêta-globine existants.
Plus de 200 mutations sont connues. Les mutations de type bêta0 abolissent totalement la production de chaine bêta et celles bêta+ la réduisent (petite production d’hémoglobine A normale résiduelle).
La greffe de cellules souches hématopoïétiques (CSH) allogénique est en pratique courante le seul traitement curatif des thalassémies majeures. Elle est proposée aux enfants disposant dans leur famille d’un donneur HLA-identique (en règle dans leur fratrie). La greffe est précédée d’une préparation à base d’une chimiothérapie lourde par Busulfan. Les CSH issues du donneur une fois installées chez le receveur vont produire toutes les cellules du sang (globules blancs, plaquettes et globules rouges). La mortalité liée à la greffe est faible. Les facteurs de succès de la greffe sont le jeune âge, une maladie peu avancée et les greffes effectuées à partir d’un donneur HLA-identique intrafamilial. Les risques principaux de la greffe sont les complications immunologiques (maladie du greffon contre l’hôte ou GvH) et les complications de la chimiothérapie en particulier le risque d’infertilité. La qualité de vie des patients greffés est supérieure celle des patients traités par transfusions et chélation. En Europe près de 3000 allogreffes ont été réalisées entre 2000 et 2017. L’âge médian à la greffe est de 7 ans. Les résultats à court terme des greffes réalisées à partir de donneur de fichiers (appelées greffes phéno-identiques) sont proches de ceux des greffes intrafamiliales mais la fréquence des complications immunologiques chroniques y est plus élevée avec un impact négatif de la GvH sur la qualité de vie. En France, l’expérience de greffe (170 greffes) est essentiellement pédiatrique et à partir de donneurs HLA-identiques intrafamiliaux. Les résultats récents (depuis 2000) montrent 90% de succès.
La thérapie génique consiste à prélever aux patients ses propres cellules souches hématopoïétiques, à les modifier en laboratoire en leur transférant le gène fonctionnel de la bêta-globine puis à les ré-administrer après une chimiothérapie qui libère de l’espace dans la moelle osseuse. Le premier patient thalassémique a été traité en 2007 après des décennies de recherche sur la régulation des gènes beta-globine (les séquences des gènes qui permettent le haut niveau de production de l’Hb dans les GR), des essais chez les souris thalassémiques et l’avènement des vecteurs lentiviraux qui sont utilisés pour transférer le gène de la beta-globine. Cette première mondiale a mobilisé la coopération de nombreuses équipes (CEA/Inserm, service de biothérapie de l’hôpital Necker, biotech BlueBirdbio). Ce 1er patient, atteint d’une E/Thalassémie est devenu indépendant des transfusions dans les suites de son autogreffe de CSH modifiées et cette indépendance transfusionnelle a été maintenue à 8 ans avec la production de 2.5-3 gr d’Hb thérapeutique (HbAT87Q ) qui venait s’ajouter à autant d’Hb fœtale et d’HbE. Depuis, 4 études développées par la biotech BlueBirdbio ont été menées ou sont en cours avec une cinquantaine de patients traités à travers le monde : elles ont utilisé un vecteur amélioré (le LentiGlobin BB305) et des cellules souches hématopoïétiques non pas issues de la moelle osseuse mais collectées en plus grande quantité dans le sang périphérique. Avant l’injection de CSH modifiées les patients reçoivent une forte chimiothérapie par busulfan qui va entrainer une baisse majeure de tous les globules du sang (aplasie). Par la suite le greffon constitué de CSH modifiées produit des globules blancs, des plaquettes et des GR contenant l’hémoglobine thérapeutique ou HbAT87Q. Les résultats préliminaires de 22 patients atteints de thalassémie âgés de 12 à 35 ans ont été publiés en 2018. Les patients ont été traités dans 2 études : HGB204 (18 patients principalement aux États-Unis) et HGB205 (4 patients à l’hôpital Necker à Paris). La production d’Hb thérapeutique a varié de 1 à 10 g/dl. Avec un recul de 15 à 42 mois au moment de la publication la correction de l’anémie avait permis l’arrêt des transfusions pour 12/13 patients porteurs de mutations non b0/b0 et 3/9 patients b0/b0. Pour les patients qui avaient repris des TF le nombre de TF administrées était réduit par rapport à la période pré-greffe. Les résultats étaient donc meilleurs chez les patients non bêta0/bêta0. Un autre facteur de réussite était le nombre plus élevé de copies de gène bêta-globine apporté par la manœuvre de transduction. A plus long terme les résultats positifs sur l’arrêt des TF se sont maintenus.
Deux autres études internationales (Etats-Unis et Europe : Rome, Hanovre, Londres, Marseille) sont en cours : l’étude HGB207 concerne les patients atteints de mutations non bêta 0/bêta 0 et l’étude HGB212 ceux bêta 0/bêta 0. Le procédé de transduction a été modifié pour ces 2 études afin d’augmenter le niveau de transduction des CSH (augmentation du nombre de CSH modifiées et du nombre moyen de copies de vecteur par cellules). Les résultats préliminaires (Septembre 2018, suivi de 3 à 18 mois) de l’étude HGB-207 montrent que 10 des 11 premiers patients traités, âgés de 8 à 34 ans, ont arrêté les TF et que leur taux d’Hb se maintient entre 11 et 13 g /dl. Le taux d’Hb thérapeutique produit par la thérapie génique varie de 7 à 10 gr/dl. Les résultats favorables des études HGB104 105 et 107 ont conduit à une demande de commercialisation du produit de thérapie génique développé par BlueBirdbio (sous le nom de Zynteglo) auprès des autorités de santé européennes pour les patients âgés de plus de 12 ans présentant un génotype non bêta 0/bêta0.
Les effets indésirables rencontrés chez les patients thalassémiques dans ces études sont ceux liés à la chimiothérapie par busulfan: baisse des globules sanguins, aphtes, complications infectieuses, toxicité sur le foie de la chimiothérapie, perte des cheveux. On notera que la reconstitution des plaquettes peut être retardée. Avec un recul encore faible, mais tout de même de quelques années pour les 1ers patients thalassémiques traités il n’y a pas eu de complications liées aux vecteurs lentiviraux utilisés (pas de problème viral ou de dérèglement des cellules modifiées).
Parmi les autres essais de thérapie génique menés dans le monde, une autre étude de thérapie génique par addition du gène de la bêta-globine a été conduite à Milan (étude TIGET-BTHAL). Le vecteur lentiviral utilisé pour apporter un gène bêta normal est nommé GLOBE. Une forte chimiothérapie par tréosulfan et thiotépa précède la l’administration du greffon de CSH hématopoïétiques génétiquement modifiées. L’injection des CSH est réalisée non pas par perfusion intraveineuse mais par injection des CSP en intra-osseux. La prise plaquettaire est rapide. Les résultats sur la correction de l’anémie ont été rapportés pour 8 patients: une efficacité partielle (diminution des besoins en transfusions) chez les 3 adultes a été observée et 4/5 enfants ou adolescents sont devenus indépendants des transfusions. Cette étude semble indiquer qu’en plus de la forme non bêta0/bêta0 et d’un niveau élevé de transduction, le jeune âge serait un facteur de succès.
La thérapie génique est une procédure d’autogreffe précédée d’une chimiothérapie lourde. Ses avantages par rapport à l’allogreffe sont le peu de complications immunitaires (pas de GVH et déficit immunitaire moindre) et sa disponibilité pour tous les patients avec une indication de greffe. Elle est bénéfique sur l’anémie avec un sevrage des TF pour la majorité des patients non bêta0/0 grâce à une production importante d’Hb thérapeutique dans les GR utilisant le gène bêta-globine introduit. La quantité d’Hb thérapeutique requise pour corriger la maladie est plus importante pour les formes bêta0/0 et les résultats des premiers patients thalassémiques bêta0/0 sont attendus fin 2019. Les patients traités font bien sûr l’objet d’une surveillance à long terme de l’efficacité et la tolérance du traitement et les résultats des études en cours sont très régulièrement actualisés.
De nouveaux traitements médicamenteux de la thalassémie pour une administration au long cours sont également en cours d’évaluation.
Le Luspatercept est un agent favorisant la maturation des globules rouges, maturation qui est inefficace dans la thalassémie. Il est administré par injection sous-cutanée toutes les 3 semaines. Une étude clinique de phase 2 a été menée chez 31 patients adultes thalassémiques transfuso-dépendants et 33 non transfuso-dépendants. Les principaux résultats ont été une baisse des apports en transfusions d’au moins 20% pour 81% des patients transfuso-dépendants, une augmentation de plus de 1.5 g/dl d’hémoglobine chez 58% des patients non dépendants des transfusions et une amélioration de leur qualité de vie, une amélioration de la surcharge en fer hépatique.
Les premiers résultats d’une étude plus vaste (étude de phase 3 BELIEVE) évaluant l’efficacité et la tolérance du Luspatercept chez les patients β-thalassémiques adultes, nécessitant des transfusions régulières sont également disponibles. 336 patients ont participé dans 15 pays, 224 ont reçu le medicament et 112 un placebo. Les patients traités ont significativement diminué le nombre des TF dans le groupe traitement par rapport au groupe placébo : volume des TF diminué sur 6 mois d’au moins 1/3 pour 41% des patients versus 3% dans le groupe placébo avec amélioration des ferritinémies. Les effets indésirables rencontrés sont principalement des douleurs osseuses et articulaires.
L’efficacité et la tolérance à plus long terme sont en cours d’étude.
Un second médicament prometteur en cours d’évaluation est un analogue de l’hepcidine (un médicament qui ressemble à l’hepcidine et en reproduit les effets). L’hepcidine est l’ « hormone » qui règle le niveau du fer dans notre corps: elle freine l’absorption du fer par le tube digestif et le maintien à l’intérieur des macrophages. Dans la thalassémie il existe 2 signaux contradictoires : la surcharge en fer commande une augmentation de l’hepcidine alors que l’anémie commande elle une baisse de l’hepcidine. Au total dans la thalassémie l’hepcidine est plus basse que ne le voudrait la surcharge en fer d’où l’idée de diminuer le fer et d’améliorer la fabrication de globules rouges en augmentant les taux circulants d’hepcidine par injection d’un analogue de l’hepcidine (injection ss-cutanée hebdomadaire de « PTG-300 »). Une étude internationale de phase 2 a débuté en 01/2019 afin de déterminer la dose optimale, d’évaluer la tolérance et d’obtenir des données préliminaires sur l’efficacité : il est prévu 84 participants atteints de thalassémies dépendantes des transfusions (majeures) ou non dépendantes des transfusions (thalassémies intermédiaires)
Pour conclure sur les nouveaux traitements de la thalassémie, il existe de grandes avancées susceptibles de bouleverser la prise en charge des patients thalassémiques dans un futur proche. La thérapie génique et de nouveaux médicaments sont évalués dans plusieurs études internationales. Les résultats des essais cliniques ont conduit à déposer auprès de l’EMA (agence européenne du médicament) une demande de commercialisation:
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en 2018 pour le produit de thérapie génique, Zynteglo. Un premier avis favorable a été donné fin mars 2019 pour les patients dépendants des transfusions présentant une forme non bêta0/0 et âgés de 12 ans et plus.
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en 2019 pour le Luspatercept pour les patients adultes thalassémiques dépendant des transfusions
L’OSTÉOPOROSE DANS LA BÊTA-THALASSÉMIE
Docteur Emmanuelle BERNIT, Praticien Hospitalier, Service de Médecine Interne du Pr Harlé, médecin référent pour les patients adultes du Centre de Référence des Maladies Rares Constitutionnelles du Globule Rouge et de l’Érythropoïèse, à Marseille CHU Timone.
Le régime transfusionnel (TF) et la chélation du fer ont amélioré la durée et la qualité de vie des patients thalassémiques. On voit donc apparaître des complications au long terme de la maladie. La pathogénie osseuse n’est pas entièrement comprise. Les problèmes osseux représentent cependant une morbidité importante avec survenue fréquente de défaut de croissance, d’ostéoporose, de fractures, de déformations rachidiennes, de compressions radiculaires et de douleurs. Des facteurs de risque vont pouvoir s’ajouter les uns aux autres chez une même personne. Il est difficile mais majeur de quantifier la part de chaque facteur de risque et d’établir un traitement optimal et personnalisé.
L’architecture osseuse et la physiologie osseuse dans l’organisme
Le tissu osseux soutient la biomécanique du squelette permettant la locomotion et la protection des organes. Il a une fonction hématopoïétique, c’est-à-dire qu’il contribue à la fabrication de cellules sanguines. Le tissu osseux à également une fonction métabolique car il permet le maintien de l’équilibre phosphocalcique. Le tissu osseux contient 99% du Calcium et 90 % du phosphore de l’organisme.
Le tissu osseux est composé d’eau, de matières organiques (cellules osseuses : Ostéocytes, Ostéoclastes et Ostéoblastes), de fibres de collagènes de type I, de protéines, de sels minéraux inorganiques (Hydroxyapatite de Ca et carbonate de Ca).
L’os est un tissu vivant en en perpétuel processus lent de renouvellement par destruction/reconstruction : c’est ce qu’on appelle le remodelage osseux. Le maintien de l’équilibre phosphocalcique est assuré par la vitamine D et la Parathormone (PTH) ; Si la vitamine D baisse, la PTH augmente pour compenser. Le but est de maintenir une calcémie stable autour de 2,4 mmol/L.
L’ostéoporose dans la bêta-thalassémie
L’ostéoporose est une « maladie généralisée du squelette caractérisée par une densité minérale osseuse (DMO) basse ET par des altérations de la microarchitecture osseuse, responsable d’une fragilité osseuse exagérée et donc d’un risque élevé de fracture » (définition de l’OMS).
L’ostéoporose est INDOLORE ! Sa seule manifestation clinique est la FRACTURE !
Il faut donc en faire le diagnostic AVANT la première fracture grâce à la Densitométrie Minérale Osseuse ET la recherche d’éventuels facteurs de risque.
Le bilan sanguin est normal ; Il est uniquement réalisé pour éliminer un diagnostic différentiel devant une fracture douteuse (myélome, métastase ?...). On diagnostique une ostéoporose densitométrique si T score < à -2,5
Ostéoporose et thalassémie : une association fatale ?
Dans la β-Thalassémie, la physiopathologie de l’ostéoporose est multi factorielle (Hypogonadisme +++, Hyperplasie médullaire +++, Augmentation du turnover osseux, Surcharge en fer au niveau osseux, Hypothyroïdie, Hypoparathyroïdie, Diabète, Perturbation de l’axe GH-IGF1, Déficit en zinc, vitamines C, K et D). L’ostéoporose peut être aggravée par une dysplasie osseuse liée à l’hyper chélation par la deferoxamine pendant l’enfance, qui ne devrait plus se voir.
L’ostéoporose peut se développer malgré un traitement chélateur et transfusionnel optimal et une supplémentation par calcium, vitamine D et stéroïdes sexuels.
On parle d’une maladie osseuse dans la thalassémie majeure mais également dans la thalassémie intermédiaire. Des anomalies de l’érythropoïèse, de la DMO, du remodelage osseux sont présentes chez tous les patients thalassémiques.
Diagnostic, évaluation, suivi et prise en charge de l’atteinte osseuse
Le diagnostic clinique se fait par la surveillance de la taille, du poids et des courbes de croissance chez l’enfant mais aussi le suivi de la taille des adultes, caractères sexuels IIaires et de la puberté.
Mesures préventives
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Mettre en place un traitement transfusionnel optimal chez les TM afin de réduire l’érythropoïèse thalassémique
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Surveiller la toxicité osseuse potentielle de la DFO (respecter les posologies préconisées chez l’enfant
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Évaluer régulièrement le bilan phospho-calcique sanguin et urinaire
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Corriger les carences en calcium, en vit D par des mesures diététiques et/ou médicamenteuses ; préférer l’apport alimentaire riche en calcium et cholecalciférol (800 UI /J ) que par calcium sur le risque de calculs et de nephrocalcinose. Recommander l’activité physique / Marche/soleil
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Une discussion collégiale avec le néphrologue et l’endocrinologue est nécessaire si atteinte rénale calcique, si anomalies endocriniennes..
Traitements de fond de l’ostéoporose
Effets attendus :
- Améliorer de la densité́ osseuse
- Diminuer les douleurs dues à l’expansion de la moelle osseuse ou aux déformations rachidiennes
- Éviter les fractures vertébrales et les autres fractures de fragilité́
A) Les Inhibiteurs de la résorption osseuse
- Les Bisphosphonates (Zometa, Aclasta, Fosavance ...)
- Le Dénosumab (Prolia)
B) Les Traitements ostéoformateurs
- Tériparétide (Forsteo)
Il manque encore des études dans la population thalassémiques pour évaluer fermement les bénéfices et la durée de ces traitements. A ce jour, ce sont les biphosphonates qui sont préconisés en première intention.
Conclusion
Le futur : moins d’ostéoporose ?
La mise en place des régimes transfusionnels bien menés et la chélation du fer ont sans contexte réduit la sévérité de la fragilité et des déformations osseuses. Néanmoins une maladie osseuse moins sévère, multifactorielle, avec douleurs, ostéopénie/ostéoporose, et risque de fracture persiste.
- Évaluation et amélioration probables de la prise en charge endocrinienne, et des substitutions hormonales dès la petite enfance
- Observance des règleshygiéno-diététiques à tout âge
- Traitements de fond à évaluer : modalité ? Durée ?